Cryptomonnaies : traitement fiscal et risques associés

L’envolée des cours de certaines monnaies virtuelles depuis fin 2020 a fait beaucoup parler d’elle et attire bon nombre d’investisseurs. A titre d’exemple, le Dogecoin a même enregistré, courant du mois de mai, une hausse ponctuelle de son cours de plus de 24 000% sur une année. L’engouement autour de cette monnaie, créée en 2013 et se présentant comme une « blague », peut surprendre. Ceci illustre toutefois à merveille toute l’importance que les cryptomonnaies ont pris sur les marchés ces dernières années.

A présent démocratisées et structurées, elles sont désormais à la portée de n’importe quel investisseur privé. De là, des plateformes d’échanges et de nouvelles formes de placement ont émergé pour des investisseurs non-professionnels. Ce phénomène entraîne des risques pour ces investisseurs qui ne possèdent pas les réflexes relatifs aux obligations et aux impacts fiscaux engendrés par ces transactions. Pour bien cerner les enjeux, il est primordial de se poser les questions suivantes : 

  • Comment déclarer mes cryptomonnaies dans ma déclaration d’impôt annuelle ?
  • Existe-t-il des risques fiscaux spécifiques ?
  • Comment régulariser ma situation si mes cryptomonnaies ne sont pas déclarées ? 

Nous vous proposons de passer en revue les éléments clés de l’imposition des cryptomonnaies et des risques fiscaux liés à certains agissements spécifiques sur le marché.

Comment déclarer mes cryptomonnaies dans ma déclaration d’impôt annuelle ?

Les cryptomonnaies, sous réserve des cas spécifiques mentionnés ci-dessous, font partie intégrante de la fortune privée de l’investisseur.

Ces dernières doivent donc être déclarées à la valeur de marché de la fin d’année dans l’état des titres de la déclaration d’impôt et soumises à l’impôt sur la fortune. Le cours auquel elles doivent être converties n’est quant à lui pas clairement défini. Contrairement aux monnaies classiques (« monnaies fiat »), il n’existe pas pour les cryptomonnaies de taux de change homogènes à l’échelle mondiale. L’Administration fédérale des contributions (AFC) calcule depuis quelques années un taux de référence au 31.12 pour les principales cryptomonnaies (BTC, ETH, ADA, etc.). Les cryptomonnaies, non encore listées par l’AFC (BNB, CHSB, CHZ, etc.) peuvent être déclarées sur la base de leur cours au 31.12 publié par un « exchange » reconnu. Enfin, les cryptomonnaies pour lesquelles il est impossible de déterminer un cours, doivent être déclarées au minimum au prix d’acquisition.

Les rémunérations générées sous forme de cryptomonnaies (yields/rewards, etc.) durant l’année, liées, en principe, à la mise en dépôt de cryptomonnaies doivent également être déclarées dans l’état des titres et soumises à l’impôt sur le revenu (y compris si elles sont bloquées et n’ont pas été versées). En effet, ces rémunérations peuvent être assimilées à des rendements de titres ou des intérêts d’épargne. Ces rémunérations doivent, cette fois, être converties au taux de change moyen de l’année. C’est à ce stade que se présente la première difficulté. En effet, les plateformes d’échange ou d’investissement ne sont pas toujours outillées de sorte à permettre au contribuable de déterminer avec précision le revenu qu’il a généré. 

Les gains ou pertes résultant de transactions effectuées sur le marché constituent pour l’investisseur privé, sous réserve des cas spécifiques mentionnés ci-dessous, des gains en capital non imposables, respectivement des pertes en capital non déductibles. Evidemment, dans la tendance haussière actuelle, la recherche du gain en capital est l’élément central. Le fait qu’il puisse être exonéré fiscalement en fait un objectif encore plus intéressant. 

Existe-t-il des risques fiscaux spécifiques ?

Justement la recherche du gain en capital peut s’avérer problématique en fonction de la façon dont celui-ci est recherché. En effet, un investisseur privé réalisant un certain nombre de transactions (achats et ventes) sur le marché, notamment à court terme, prend le risque d’être qualifié de commerçant professionnel de cryptomonnaies par les autorités fiscales par analogie à la terminologie déjà connue du commerçant professionnel de titres. Si cette terminologie n’a pas encore été officiellement utilisée par les autorités fiscales en matière de commerce de cryptomonnaies, il ne fait aucun doute à notre sens qu’elle pourrait être facilement appliquée à ce domaine tant les similitudes sont évidentes. Les critères de volume, de fréquence élevée et de courte durée de possession tout d’abord, mais également la question du recours à des fonds étrangers pour financer l’investissement sont facilement transposables, de même que les autres critères moins importants (actions systématiques et planifiées ou le lien avec l’activité professionnelle ou les connaissances préalables).

Le cas échéant, l’investisseur est assimilé à un indépendant et les gains ou pertes résultant de transactions effectuées sur le marché constituent des gains en capital imposables (également soumis à l’AVS), respectivement des pertes en capital déductibles.

A noter que dans ce contexte, le fait de vendre une certaine cryptomonnaie pour en acquérir une autre est constitutif au regard de la fiscalité suisse de la réalisation d’un gain. Lorsque celui-ci est exonéré, évidemment, il passe inaperçu. Toutefois, dans le contexte de la qualification de professionnel de cryptomonnaies, chaque gain en capital intermédiaire réalisé sera constitutif d’un revenu.  

Au-delà de la question du gain en capital, il existe désormais sur le marché de nombreuses formes d’investissements qui proposent également une rémunération. Le premier qu’on peut relever, et qui est désormais relativement bien connu, est le minage (c’est-à-dire la mise à disposition d’une infrastructure informatique qui participe à la blockchain). La rémunération générée par le minage constitue un revenu totalement imposable et qui doit être déclaré comme tel.

Viennent ensuite, pléthore de produits qui allient minage, garantie, investissements sous forme de masternodes, staking ou lending. Chacun de ces produits possède des variations presque infinies et rend l’analyse fiscale relativement ardue. Cerise sur le gâteau, les plateformes qui accueillent ce type d’investissements ne sont pas organisées comme les banques, prêtes à remettre à leurs investisseurs des documentations financières propres à répondre aux exigences du fisc. Dès lors, la question de savoir comment distinguer le rendement imposable de la « simple » prise de valeur de la monnaie (exonérée à priori) risque d’être un challenge intéressant pour bon nombre d’investisseurs.

Comment régulariser ma situation si mes cryptomonnaies ne sont pas déclarées ? 

De nombreux investisseurs privés n’ont, jusqu’à maintenant, pas déclaré leurs cryptomonnaies. La raison principale est liée au fait que beaucoup d’investisseurs n’y ont vu au départ qu’un jeu et y ont placé des sommes peu importantes. Toutefois, tenant compte de la tendance considérablement haussière du marché sur le long terme, les plus-values potentielles réalisables par ces investisseurs peuvent devenir colossales lors de la conversion en monnaies classiques (« monnaies fiat »). L’investisseur occasionnel ou non, qui aura réalisé une plus-value intéressante et qui souhaitera récupérer sa mise en francs suisses, éventuellement pour faire l’acquisition d’un bien immobilier ne sera dès lors pas en mesure d’expliquer l’augmentation de fortune considérable constatée par les autorités fiscales. Afin d’éviter les écueils d’une procédure douloureuse, la procédure dite de dénonciation spontanée devrait être envisagée par l’investisseur. Si ce dernier ne pourra pas éviter le rattrapage d’impôt et les intérêts de retard, il s’en sortira au moins sans amende et aura définitivement régulariser sa situation.

Conclusion

L’engouement pour les cryptomonnaies n’a jamais été aussi fort et intéresse désormais tous types d’investisseurs y compris ceux qui ne sont pas particulièrement versés dans le monde de la blockchain. A ce stade toutefois, les lois fiscales demeurent celles du XXème siècle et ce sont bien les anciens principes qui restent appliqués par une administration fiscale quelque peu désemparée. Cependant, il peut être raisonnable de penser que le fisc s’intéressera sans doute – et pour autant que la tendance se confirme d’ici au 31 décembre de cette année – aux gains significatifs qui auront été réalisés par certains contribuables. La tentation d’appliquer les critères du commerçant professionnel pourrait donc être très forte. Il convient donc d’apporter une attention particulière à ne pas tomber dans ce « piège ».

Enfin, nous ne pouvons que recommander de prendre bien soin de documenter autant que possible les échanges effectués et de bien comprendre le fonctionnement de la rémunération proposée par certains investissements adossés à des cryptomonnaies. Il s’agit en effet d’être en mesure de tracer les revenus et ainsi remplir de manière complète votre déclaration d’impôt !

Article rédigé par Deborah Joye, Quentin Eiselé et Hugo Visinand

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