Transmission d’entreprises par succession : un projet de loi sans volet fiscal !

Les PME constituent le poumon de notre économie. Ces PME représentent deux tiers des emplois en Suisse. Environ septante cinq pour cent de ces PME sont des entreprises familiales et particulièrement concernées par le thème de la succession d’entreprise.

Le Conseil fédéral met en consultation jusqu’à fin août un projet de révision du droit des successions visant à faciliter la transmission d’entreprises au sein de la famille. Ce projet n’aborde toutefois pas les aspects fiscaux dans la mesure où l’impôt sur les successions et donations n’est pas du ressort de la Confédération. Cependant, ces questions sont généralement étroitement liées à la transmission du patrimoine familial. Tour d’horizon du projet et de ses limites sur le plan fiscal. 

Dans un contexte familial, le transfert de propriété d’une entreprise peut se réaliser de diverses manières et les aspects successoraux civils et fiscaux à prendre en compte ne sont pas toujours de la même importance selon les cas de figure considérés. Lorsque l’entreprise est cédée à un membre de la famille au prix du marché, le produit de la vente rentre dans le patrimoine du vendeur sous forme de liquidités et est transmis à ses héritiers (en principe après sa mort) selon les règles successorales applicables. Dans ce cas de figure, le vendeur réalise en principe un gain en capital exonéré sur le plan fiscal. La transmission du produit de la vente aux héritiers peut être soumise quant à elle à l’impôt sur les successions/donations. Dans ce scénario, les situations de blocage sous l’angle civil et fiscal sont limitées et le partage entre les héritiers est généralement plus aisé.

L’environnement juridique se complique sensiblement lorsque l’on désire garder l’entreprise dans le cercle familial mais que le(s) repreneur(s), pour différentes raisons, ne rachète(-ent) pas l’entreprise au prix du marché (p. ex. cession gratuite sous forme d’un avancement d’hoirie à un descendant ou vente à un prix minoré à un parent).

Afin de supprimer certaines difficultés que connaissent les chefs d’entreprise ou leurs héritiers dans les partages successoraux, le Conseil fédéral propose une série de mesures spécifiques sous l’angle du droit civil. Lors de sa séance du 10 avril 2019, il a ouvert une consultation sur un projet de modification du code civil.

Le projet de loi en bref

En substance, le Conseil fédéral prévoit les mesures suivantes :

  • accorder aux héritiers un droit à l’attribution intégrale d’une entreprise dans le partage si le défunt n’a pas pris de disposition à ce sujet ;
  • l’institution en faveur de l’héritier repreneur de la possibilité d’obtenir des délais de paiement à l’égard des autres héritiers ;
  • l’établissement de règles spécifiques en matière de valeur d’imputation des entreprises ;
  • le projet renforce enfin la protection des héritiers réservataires, en excluant que la réserve puisse leur être attribuée contre leur gré sous forme de part minoritaire dans une entreprise dont un autre héritier aurait le contrôle.

Le volet fiscal : le grand oublié

En matière de successions familiales de PME, les aspects de droit civil ne sont pas les seuls à avoir de l’importance. Les aspects fiscaux sont aussi cruciaux. Si l’entreprise doit être transmise à un descendant ou au conjoint, la question fiscale est rarement un sujet (les conjoints et partenaires enregistrés sont exonérés de l’impôt sur les successions/donations dans tous les cantons et les descendants directs dans la plupart d’entre eux). En revanche, si l’entreprise familiale est attribuée à un membre plus éloigné de la famille, les impôts sur les successions/donations peuvent devenir un casse-tête et rendre la transmission de l’entreprise très difficile, voire totalement impossible.

Malheureusement, le volet fiscal dans le projet de modification de loi du Conseil fédéral n’a pas été intégré de façon volontaire. Certes, la démarche aurait été ardue car la Confédération n’est pas habilitée à légiférer en matière d’impôt sur les successions et donations (compétence exclusive des cantons) sauf à prévoir une révision de la Constitution. Cela étant, une réflexion de fond sur les conditions cadres en matière fiscale aurait été la bienvenue. Les modifications de droit civil proposées par le Conseil fédéral ne permettent pas, en l’état et loin s’en faut, de résoudre certaines situations insolubles (notamment les transmissions non onéreuses entre différentes branches familiales très éloignées), à défaut d’avoir un cadre fiscal approprié.

Reste à savoir quel sera le résultat de la consultation et ainsi les réactions des diverses parties prenantes qui pourraient encore influencer le projet final. On peut espérer au moins que cela puisse ouvrir les débats au niveau cantonal et pousser certains cantons à revoir leur législation fiscale au regard de ces modifications, notamment en lien avec la valorisation des sociétés. Il s’agit donc encore d’un dossier à suivre dans les prochains mois.