Cryptomonnaies et fiscalité: les monnaies digitales engendrent des impôts bien réels !

L’Administration fédérale des contributions a émis récemment un document de travail qui vise à clarifier le traitement fiscal des cryptomonnaies et initial coin/token offering (ICO/ITO) pour les entreprises mais également pour les personnes physiques.

Sans participer activement au montage/développement technique de ces nouveaux outils financiers digitaux, nombreux sont les investisseurs privés qui contribuent par leur placement financier à l’essor de ces nouvelles monnaies. Moyens de paiement, levées de fonds, rémunération des employés, les nouvelles technologies ont envahi la vie des entreprises et le secteur de la finance en particulier de façon spectaculaire. Malgré le côté très « tendance » de ces nouveaux outils, le fisc nous rappelle que le digital n’a rien de fictif et que nos fondamentaux en matière d’impôts sur le revenu et la fortune restent parfaitement applicables dans ces domaines également. 

Dans sa communication du 27 août 2019, l’Administration fédérale de contributions (AFC) reconnaît que le développement des monnaies digitales et des nouveaux modèles d’affaires qui s’y rapportent génèrent des questionnements fiscaux en constante évolution. Nous vous présentons un tour d’horizon des conséquences fiscales pour un investisseur privé en matière de monnaies virtuelles et de nouvelles méthodes de levées de fonds.

La cryptomonnaie comme moyen de paiement

Tout d’abord les cryptomonnaies (ou native token), dont fait partie l’emblématique Bitcoin, sont des monnaies virtuelles mais dont la valeur est bien réelle. Dans ce contexte, il s’agit d’un moyen de paiement et elles n’obligent pas l’émetteur de ladite monnaie à une quelconque contre-prestation. Dès lors, il s’agit bien d’un actif mobilier du contribuable et en ce sens, il convient d’en reporter la valeur au 31 décembre de chaque année dans sa déclaration d’impôt. En l’occurrence, l’AFC publie désormais les cours déterminants pour l’impôt sur la fortune pour les monnaies digitales les plus connues. En l’absence d’un cours du marché, le contribuable reportera dans sa déclaration d’impôt le coût d’acquisition en francs suisses de la cryptomonnaie.

En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, ces monnaies digitales sont souvent soumises à des fluctuations de valeur importantes. Le traitement fiscal suit par analogie le traitement fiscal applicable aux monnaies ordinaires, les titres et autres placements financiers (actions, obligations, etc.). Un gain en capital sera donc exonéré d’impôt et une perte de valeur sera non-déductible. Ceci ne sera pas le cas si cette activité prend une telle importance que le contribuable en devient commerçant professionnel de titres, respectivement de cryptomonnaies. Les rendements de la fortune commerciale sont alors soumis à l’impôt sur le revenu (et à l’AVS).

Les jetons adossés à des actifs

Les jetons adossés à des actifs (asset backed token) sont généralement utilisés par les sociétés afin de réaliser des levées de fonds. Ces jetons peuvent être de natures différentes et sont donc également traités différemment sur le plan fiscal :

  • Le jeton comporte une obligation de remboursement, voire d’intérêt (jeton de capital étranger). On peut donc comparer ce jeton à de la dette pour la société qui l’émet. La valeur du jeton doit être inscrite dans la déclaration d’impôt selon sa valeur au 31 décembre pour la fortune (en l’absence de valeur actuelle, le coût d’achat sera déterminant). Les rendements sont imposables au même titre que les intérêts d’une dette ordinaire (en principe fiscalement déductibles pour la société débitrice des rendements). Si le jeton de capital étranger est vendu avec une plus-value, le gain sera exonéré et une perte de valeur sera non-déductible (sous réserve d’une activité professionnelle) ;
  • Le jeton n’est pas remboursable, mais fournit un rendement en fonction du résultat annuel de la société (jeton de capital propre) ou en fonction de l’évolution d’un critère de référence (chiffre d’affaires, marge opérationnelle, etc.) de la société qui l’émet (jeton de de participation). Cette rémunération est octroyée indépendamment de la rémunération octroyée aux actionnaires (c’est-à-dire les dividendes). Ainsi, il n’est pas nécessaire que la société soit profitable pour que l’investisseur puissent en tirer un revenu. Pour l’impôt sur la fortune, le traitement est identique au jeton de capital étranger. Bien que les noms de ces jetons portent à penser qu’il s’agit de capital propre pour la société, le traitement du rendement versé pour la société et la personne physique est différent. Pour le contribuable, tous les rendements en provenance de ces jetons sont des éléments imposables au titre de revenus de capitaux mobiliers et déductibles pour la société qui les paient. En cas de vente, le traitement fiscal est identique à celui du jeton de capital étranger ci-dessus.

Jetons d’utilité (utility token)

Les jetons d’utilité ou utility token ne donnent pas droit à un rendement financier en soi (basé sur le résultat ou autre), mais à une contreprestation généralement fournie par l’émetteur du jeton. Clairement basé sur le modèle du crowdfunding, l’objectif est de lever des fonds afin de permettre la mise en place du service, produit ou autre prestation de l’émetteur. L’investisseur pourra ensuite « échanger » son jeton contre le(s) service(s) sur la plateforme dédiée de l’émetteur. Si la plateforme ou le service ne sont jamais livrés, l’émetteur ne doit pas rembourser pas le jeton.

Le jeton d’utilité représente la possibilité d’obtenir une certaine prestation à l’avenir et a donc une valeur de marché. Pour l’impôt sur la fortune, cette valeur est déterminante. En l’absence d’une telle valeur, c’est bien la valeur d’achat en francs suisses qui fera foi. Lorsque le jeton est utilisé afin d’obtenir la prestation convenue de l’émetteur, il n’y a pas d’impact sur le revenu imposable.

Jetons et rémunération « digitale » des employés

Certaines sociétés émettrices de jetons, apprécient de les utiliser afin de rémunérer leurs employés. A nouveau, la notion de « rémunération digitale » ne fait pas obstacle à l’application des règles fiscales usuelles. Toute rémunération obtenue par un employé qu’elle soit en espèce, en nature ou désormais digitale, est imposable (et soumise aux assurances sociales).

Comme pour l’impôt sur la fortune évoqué ci-dessus, c’est la question de la valorisation des jetons obtenus qui pose vraisemblablement le plus de problème. A ce sujet, l’AFC ne donne pas de réponse concrète et « renvoie la balle » à l’employeur (ou au contribuable). Charge à lui de fournir la preuve que la valeur retenue est bien conforme au marché au moment où le jeton est attribué et de la reporter correctement dans le certificat de salaire de l’employé.

Conclusion

Pour un investisseur privé, les cryptomonnaies doivent être reportées au cours de clôture dans la déclaration d’impôt pour les besoins de l’impôt sur la fortune. Une évolution positive du cours, respectivement un gain en capital sur la vente de la cryptomonnaie sera en principe exonéré d’impôt (hors activité professionnelle).

Lorsque le contribuable participe à une levée de fonds sous forme de jetons adossés à des actifs, il s’agit de bien comprendre de quel type de jeton il s’agit. De façon générale, les rendements en provenance de ces jetons sont tous imposables et les gains en capitaux réalisés sur leur vente sont généralement exonérés.

Si le contribuable investit dans des jetons d’utilité, le traitement pour l’impôt sur la fortune est toujours le même, mais l’utilisation du jeton contre la prestation convenue reste sans impact sur le revenu.

Enfin, toute rémunération, même digitale, versée à un employé sous forme de jetons devra être imposée et reportée dans le certificat de salaire. La question de la valorisation apparaît ici comme centrale, au même titre que pour l’impôt sur la fortune.

Il est évident que l’utilisation des divers token est en plein développement et que l’imagination des émetteurs en la matière ne semble pas avoir de limite. A ce titre, il convient toujours d’être attentif à la typologie de « l’investissement digital » et à ses conséquences fiscales pour le contribuable. En effet, bien que les investissements de demain se dématérialisent, l’assujettissement à l’impôt, lui, reste bien réel nonobstant une digitalisation croissante des formalités fiscales déclaratives !