Accord pérenne entre la Suisse et la France pour l’imposition des jours de télétravail

La Suisse et la France se sont accordées sur une solution durable pour l’imposition des travailleurs frontaliers. Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, le télétravail (« home office ») est possible jusqu’à 40 % du temps de travail par année sans que soit remis en cause l’Etat compétent pour l’imposition des revenus d’activité salariée. Dans la foulée de l’accord provisoire qui avait été conclu durant la période de pandémie, les deux voisins ont désormais décidé d’inscrire certains aspects dans la durée.

Au regard de cette décision importante pour les travailleurs frontaliers, nous abordons dans cet article les conséquences et risques liés à cet accord.

Les principes de l’imposition des jours de télétravail entre la Suisse et la France

L’objectif de l’accord est de permettre un maximum de 40 % de télétravail sans remettre en cause la compétence du pays en droit de taxer. Dans ce contexte, il est important de rappeler qu’il peut y avoir plusieurs cas de figure pour les travailleurs qui sont actifs sur l’autre territoire :

Principe d’imposition

Télétravail jusqu’à 40 %

Télétravail >40 %

Travailleurs frontaliers au sens de l’accord de 1983 entre la France et les cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura*

Le pays de résidence a le droit de taxer 100 % de la rémunération.

Le statut de frontalier au sens de l’accord est maintenu. Le pays de résidence demeure compétent pour taxer le revenu à 100 %.

Le statut de frontalier tombe. Les principes ordinaires de taxation s’appliquent (vraisemblablement le droit de taxer sera partagé entre les deux pays).

Autres travailleurs relevant de la convention franco-suisse de 1966

Différentes règles possibles, mais généralement imposition au lieu du travail

Maintien du droit de taxer par le pays de l’employeur

Application des règles de la convention (vraisemblablement le droit de taxer sera partagé entre les deux pays)

* Le travailleur frontalier au sens de l’accord retourne quotidiennement à son domicile dans l’autre pays avec une marge de tolérance de 45 nuits et ne doit pas résider à plus d’une heure trente de son lieu de travail.

Exemples concrets

  1. Un travailleur frontalier (au sens de l’accord de 1983) qui travaille deux jours depuis chez lui en France et trois jours à Lausanne, sera imposable à 100 % en France. S’il télétravaille trois jours et vient à Lausanne pour les deux autres, il deviendra redevable de l’impôt à la source en Suisse pour ces deux jours. Le reste restant imposable en France.
  2. Un travailleur français qui exerce quotidiennement son activité à Genève, restera soumis à l’impôt à la source à Genève pour l’intégralité de sa rémunération s’il effectue au maximum 40 % de télétravail. Ce dernier exemple est notamment intéressant pour les résidents français qui souhaitent bénéficier des avantages fiscaux liés à la prévoyance (déductibilité des rachats à la Caisse de pension ou au 3ème pilier) car ils pourront maintenir leur droit à déposer une déclaration d’impôt en Suisse (voir à ce titre notre article sur le nouvel impôt à la source).

Uniquement un accord fiscal ! Quid d’un accord en matière de sécurité sociale ?

Il est crucial de souligner qu’il s’agit d’un accord applicable uniquement au domaine fiscal et en aucun cas d’un accord applicable en matière de sécurité sociale. En effet, en matière de sécurité sociale, les règles de l’accord avec l’Union Européenne demeurent applicables bien qu’elles soient encore suspendues par l’accord provisoire applicable en raison du COVID-19 qui a été prolongé jusqu’au 30 juin 2023.

On peut évidemment penser qu’au vue de la situation sanitaire, il n’existe plus de raison de maintenir cet accord provisoire. Ainsi, à compter du 1er juillet 2023, en l’absence de prolongation supplémentaire, le régime ordinaire s’appliquera à nouveau. Selon les règles ordinaires, un employé qui exerce son activité en télétravail au-delà du seuil de 25 %, sera soumis au régime de sécurité sociale de son Etat de résidence en lieu et place de celui de l’Etat de l’employeur.

La question d’une adaptation du seuil de 25 % est en discussion depuis de nombreuses années mais la possibilité de trouver un accord entre tous les membres de l’UE (et de la Suisse) semble relativement improbable dans un horizon temps raisonnable.

En matière de télétravail, l’aspect social apparaît comme beaucoup plus important que l'accord fiscal car il fonctionne avec le principe du « tout ou rien ». En effet, nous rappelons qu’un employé est soumis à la sécurité sociale de manière complète dans l’un ou l’autre pays et qu’aucun « partage », comme c’est le cas en matière fiscale, n’existe. A ce titre, les enjeux financiers pour l'employeur sont plus importants en comparaison du volet fiscal qui ne concerne finalement que l’employé.

En d’autres termes, le travailleur frontalier français qui télétravaille 40% depuis la France ne verra pas sa fiscalité en matière de sécurité sociale changer. Par contre, son employeur suisse devra prélever et décaisser de la sécurité sociale française avec tout l’impact financier supplémentaire qu’on lui connait.

Le risque de création d’un établissement stable ne doit pas être oublié

Le nouvel accord n’évoque pas non-plus la problématique de l’établissement stable. En effet, cette notion vise à définir un lieu depuis lequel l’entreprise exerce toute ou partie de son activité (et donc génère une partie de son profit). A ce titre, le domicile du télétravailleur peut, théoriquement, tout à fait répondre à cette définition avec toutes les problématiques d’impôt sur le bénéfice cette fois qu’elle peut engendrer (imposition du profit de l’établissement stable dans le pays dans lequel il se trouve). Il ne s’agit pas ici d’entrer dans les détails mais d’attirer l’attention sur le fait que le nouvel accord n’affranchit pas les employeurs, respectivement les entreprises, de toute problématique de ce type.

Conclusion

Bien que le nouvel accord sur la fiscalité du télétravail entre la Suisse et la France puisse être salué, il ne résout pas toutes les problématiques qui entourent le télétravail, notamment la question de la sécurité sociale. L’impact de cette dernière, notamment dans le cas où le régime français vient à s’appliquer est tel, qu’on peut en venir à se demander dans quelle mesure les employeurs suisses permettront effectivement à leurs travailleurs frontaliers d’en bénéficier. Il est en effet fort possible que les sociétés suisses restent concentrées sur la limite de 25% afin d’éviter tout « retournement de situation » en matière sociale. 

Cet accord, bien que louable, ne simplifie finalement pas particulièrement la situation. Il reste donc important de rester vigilant sur les différents aspects qui entourent le télétravail et de se faire conseiller tant le sujet est complexe.

Article rédigé par Dorian Trevisan et Deborah Joye